Les Forges de l’Angoumois à travers l’histoire des Forges de Pont Rouchaud, à Roussines (16)
Dès le XVIe siècle on voit apparaître de nombreuses forges et fonderies en *Angoumois.
Cette région de France dispose non seulement de minerai de fer en quantités abondantes mais
aussi d’immenses forêts avoisinants ces gisements permettant ainsi un approvisionnement aisé
des fours en charbon de bois. Malgré la qualité médiocre du minerai de fer extrait de ses mines,
au fil des siècles apparaîtront des forges importantes autour d’Angoulême telles que celles de
Planchemenier, Combier, Jamelière, Bonrecueil, La Chapelle St Robert, Forge neuve, Rancogne,
Montizon, Pont Rouchaud et bien d’autres forges importantes comme la très célèbre Fonderie de Ruelle.
*Ancienne province Française qui correspond de nos jours à la partie centrale de l'actuel département de la Charente
Où étaient situées les forges ?
Carte des forges de l’Angoumois au XVIIIe siècle
La grande époque de ces forges se situe lors de la création de l’Arsenal de Rochefort décidée par Louis XIV.
Le roi voulant une flotte de guerre puissante, ces forges reçurent d’importantes commandes de canons de différents calibres
mais aussi des mortiers plus spécialement utilisés pour bombarder les fortifications ennemies.
On remarque sur la carte que toutes les forges étaient situées le long d’un cours d’eau car toute la machinerie,
en particulier les soufflets des hauts fourneaux, les martinets (gros marteaux), les machines à forer étaient actionnés
par des roues à aubes ou à godets d’où la nécessité d’avoir en général un barrage avec des biefs pour alimenter les roues.
Toutes les forges avaient un plan d’ensemble à peu près identique :
Autour d’un haut bâtiment comprenant un ou plusieurs fours avec la fosse à couler les canons,
se trouvaient des halles de stockage pour le minerai, le charbon de bois,
la chaux (utilisée comme fondant) l’argile etc.
Chaque forge avait aussi besoin d’une martelerie, et d’un bâtiment pour le forage des canons.
A proximité se trouvaient en général quelques humbles logements pour les ouvriers spécialisés et leurs familles.
Enfin, à l’écart, dominant l’ensemble de la forge, la demeure bourgeoise du maître de forge.
La demeure des maîtres de forge à Pont Rouchaud
Jusqu’au XVIIIe siècle c’était "une maison forte",
entourée de hauts murs d’enceinte.
Quelques éléments importants d’une forge.
Tout d’abord le haut fourneau. Construction monumentale qui demandait une très grande expérience
de la part des ouvriers chargés de le faire fonctionner. Aussi chacun avait-il un rôle bien défini :
Le Maître Chargeur et son aide devaient doser les couches de minerai, de charbon de bois
et de fondant pour obtenir la qualité recherchée du métal. Le Soufflier s’occupait de la bonne marche
des soufflets qui ne devaient en aucun cas s’arrêter, et continuellement il devait en graisser les parties mobiles.
En bas du fourneau se trouvait l’Arqueur, chargé de préparer la sortie du métal en fusion
qui atteignait en bas du four près de 2000°.
Les dessins ci-dessous qui apparaissent dans de nombreux ouvrages sur l’histoire de la métallurgie nous permettent
de mieux comprendre comment fonctionnait un haut fourneau de cette époque.
On retrouve précisément cette construction dans les forges de l’Angoumois.
Un soufflet de forge
Il était actionné par une roue à aubes et un système complexe de contrepoids.
Le martinet
Énorme marteau pour battre la fonte afin d’améliorer la qualité du métal ou marteler des pièces.
Il était actionné, comme les soufflets, par l’énergie hydraulique.
Toutes les forges eurent des périodes fastes lors des guerres et des époques de moindre activité en temps de paix
où les maîtres de forges eurent parfois beaucoup de mal à survivre lorsque l’État, par manque de finances, n’honorait pas ses commandes.
Et puis la période révolutionnaire et les progrès de l’artillerie avec Gribauval firent que la plupart de ces forges disparurent
ou se convertirent au moulage de pièces agricoles ou utilitaires avant de disparaître complètement lors de la révolution industrielle
du XIXe siècle.
L’histoire, ici résumée, de la forge de Pont Rouchaud illustre bien cette épopée : C’est vers les années 1600 qu’on trouve les premiers
documents relatifs à cette forge. Entourée d’un immense domaine composé de plusieurs fermes, moulins, forêts, etc,
elle appartenait à la famille de Guez de Balzac. Par la suite, la famille Descravayat de Roussines prit en main cette forge sans produire de canons,
mais dans un premier temps, seulement des barres de fonte (ou gueuses) revendues par des négociants à des fonderies plus importantes.
Fabrication d'une gueuse :
Les ouvriers préparent un fossé dans du sable dans lequel sera déversé le métal en fusion. Après refroidissement,
il sera démoulé et transporté sur des rouleaux, vu son poids.[/color]
En 1690 tout change : Le roi Louis XIV veut étendre son prestige sur mer aussi l’intendant de Limoges écrit :
"Je vais à Angoulême pour presser dans les forges d’Angoumois la fabrique des canons que Mr de Ponchartrain a ordonné
pour les services de la mer (…) car Sa Majesté a besoin de 982 canons à fabriquer au Ponant d’ici avril 1692" (A.D. Limoges)
Les Descravayat, comme bien d’autres maîtres de forge, transforment alors leurs fourneaux pour couler des canons mais par manque
d’expérience la plupart de ces "bouches à feu" sont rebutées lors des essais.
Découragée, la famille Descravayat afferme le domaine. Il sera ensuite vendu successivement à différents propriétaires
qui délaisseront la forge au profits des revenus du domaine.
Il faut attendre 1757 pour que la forge, rachetée par Jacques Dereix des Rivières et son épouse, Jeanne Blanchard,
après de très importants travaux de réfection, devienne l’une des plus importantes forges de l’époque,
spécialisée dans la fonte des canons de 24, 12., et autres calibres plus petits, toujours pour la marine.
Mais Jacques Dereix décède en 1759 et l’on aurait pu penser que les fourneaux allaient s’éteindre.
C’était ne pas connaître l’énergie de son épouse qui allait continuer encore plus activement,
non seulement la fonte de canons mais aussi celle de mortiers et de boulets.
C’est ainsi qu’elle obtient la soumission de 70 canons et 50 mortiers de 12. avec une avance de 20 000 livres.
(Ci-dessous, la première page de cette soumission (A.D. de la Gironde)
Or un traité de la sorte, passé avec le secrétaire d’état à la Marine, n’était pas sans contraintes importantes, témoins ces quelques extraits :
"Les canons seront forés et tournés au vif sur leur surfaces extérieures ; les mortiers seront seulement forés et la précision des dimensions
prescrites sera scrupuleusement respectée(…) L’âme des dits canons et mortiers sera unie, concentrique et juste au calibre,
sans onde ni coups de forest"
Si les consignes n’étaient pas respectées, les canons "étaient rebutés avec cassation des tourillons"*
*En brisant les tourillon (axes de chaque côté du canon) les autorités maritimes étaient assurées que les canons ne pourraient plus être
utilisés au cas où les imperfections seraient maquillées….ce qui parfois arrivait …
C’est ainsi qu’en 1770, le maître de forge de la Chapelle St Robert reçut copie de cette lettre du ministre de la marine, le duc de Praslin :
"Monsieur, après la visite qui a été faite à Toulon des 72 pièces transportées de Rochefort, il parait qu’il y en a quatre de rebutées
pour des chambres et fêlures qui avaient été mastiquées (…) Comme il a été vérifié que ces canons proviennent de la forge de la Chapelle St Robert,
le prix en sera retenu sur ce qui reste dû des fournitures… " ( A. D de la Dordogne)
Canons coulés dans les forges de l’Angoumois et du Périgord.
Un canon de marine de 24, sur son affût, prêt à être embarqué
En exposition devant un bâtiment de la Corderie royale à Rochefort.
Les canons de 36, qui armaient les énormes navires de guerre, pesaient environ 3500 kg et peu de forges, en Angoumois,
étaient en mesure d’en couler. Par contre, les canons de 24, qui pesaient environ 2500 kg étaient très demandés ainsi que des canons
de calibre plus petit pour armer les frégates et autres voiliers plus légers.
La correspondance entre l’Intendant de l’Arsenal de Rochefort, La Martinière, la veuve Jeanne Dereix Desrivières,
devenue maître de forge à Pont Rouchaud et le Sieur Maritz, ingénieur en armement pour le Roy, révèle combien était intense
et difficile la vie de ces forges de l’Angoumois : (A.H.M. à Lorient)
1er février 1760. Lettre de La Martinière à Mme Dereix :
"Madame, Mr Maritz apprendra avec plaisir la mise en place de votre cuve (Fosse à couler les canons) et le bon train (…)
de vos deux machines à forer"
Lettre du 20 avril 1760 :
"Mr Maritz me prie de vous prévenir qu’il vous donnera une douzaine de mortiers à couler sur le modèle de ceux fabriqués à Rancogne (…)
J’ai reçu votre lettre par laquelle j’apprends que vous coulez actuellement des canons de 24.
Je pense qu’il faut dès à présent monter votre forerie afin d’être à même de remplir les obligations de votre soumission".
Lettre du 12 janvier 1761 :
"Madame, Mr Maritz me demande d’expédier subitement pour Rochefort les mortiers qui se trouvent à Pont Rouchaud
au nombre de 18 et de faire passer à Bordeaux 25 canons de 24 et 58 de 12 qui s’y trouvent, pour Paris"
Lettre du 20 janvier 1761 :
"Madame, Mr Maritz me marque qu’il faut envoyer 80 canons de 8 et 20 gros mortiers avec leur crapauds".
D’autres lettres semblables suivent mais tous les maîtres de forges étaient devant un problème récurrent :
Le non paiement par l’état des fournitures et du travail fourni, ce qui les mettait souvent dans des situations dramatiques :
Lettre de La Martinière à Maritz :
"Je vous écris directement à Paris avant votre retour car la veuve Desrivière ne sait plus à quel saint se vouer pour fléchir ses ouvriers
et ses voituriers qui luy refusent services et ses autres créanciers qui la persécutent continuellement.
Elle sera forcée de tout abandonner si elle n’est pas incessamment secourue(…)
Tachez d’obtenir à la Cour quelque somme honnête et tout le monde vous bénira ;
J’ay témoigné en dernier lieu au ministre combien ce secours est nécessaire"
Car, comme il est fait allusion dans cette lettre, il fallait payer les fournitures et leur transport, d’une part,
mais aussi le charroi des canons et des mortiers jusqu’au port de l’Houmeau près d’Angoulême.
Là, ils étaient chargés sur des gabares qui descendaient la Charente jusqu’à Rochefort ;
un voyage plein de périls, notamment en période de crue de la Charente.
Reconstitution du transport d’un canon réalisée par l’Association "La Route des tonneaux et des canons".
En fait, les "rouliers" transportaient plusieurs canons à la fois avec un nombre impressionnant de chevaux.
Plusieurs lettres de l’Intendant font allusion à ce problème :
Mortiers devant le fort de Fouras.
Lettre au réceptionnaire des canons à Angoulême :
"Monsieur, j’ay conséquemment l’honneur de vous annoncer qu’il y a déjà 15 attelages d’affectés
au transport des canons de Pont Rouchaud ."
Une autre fois il écrit :
"Je réclame pour la forge de Pont Rouchaud où il reste encore 15 mortiers avec leur crapaud, l’objet de 45 charrois (…)
Les conducteurs savent mieux que moy la charge que les charrettes sont capables de porter. Ces mortiers pèsent 6000 livres,
leur affût 7000 livres, formé de deux pièces de 3500 livres chacune* . Il faut 9 chevaux pour tirer le corps du mortier
et 5 à chaque flasque d’affût. Enfin, ce transport est l’affaire de 4 jours." (…) * Une livre, environ 500g
Arrivés au port de l’Houmeau, les canons étaient donc confiés à des gabariers. Ceux-ci étaient payés au retour à Angoulême
par une sorte de banquier au vu d’un reçu délivré par les autorités de l’Arsenal :
Billet affirmant que le gabarier a bien déchargé à l’Arsenal de Rochefort 4 canons de 24 provenant de Mr de Puymartin
(il avait pris la direction de la forge de Pont Rouchaud après le décès de la veuve Dereix).
Le roi Louis XVI n’étant pas un souverain guerrier, l’Arsenal de Rochefort tourna au ralenti jusqu’à la période révolutionnaire
où la plupart des forges s’éteignirent. Celles qui restaient, après un sursaut de production exigé par le Comité révolutionnaire,
disparurent sous l’Empire. Les maîtres de forge n’avaient pas su convertir leurs installations pour faire face à la révolution industrielle.
Une forge cependant ne disparut pas et existe encore : celle de Ruelle qui eut un destin exceptionnel : sa création est due
au Marquis de Montalembert qui, en 1750, se fait fort de produire pour Sa Majesté,
800 canons en Angoumois (moyennant la fabuleuse somme de 1.800.000 livres (...)
Il crée effectivement une grande forge à Ruelle, mais son inexpérience dans le domaine de la fonderie
fait que ses premières coulées de canons sont un échec.
L’ingénieur Maritz, Inspecteur des Armements, fait alors au roi un rapport des plus accablants :
"Il est étonnant comment un particulier sans aucune connaissance ni expérience peut s’engager à couler du canon (…)
En l’espace de deux ans, Mr de Montalembert n’avoit livré que 13 canons et ce petit nombre avoit été fait avec si peu de soin,
on y avoit emploié de si mauvaises matières, les machines à forer de l’invention de Mr de Montalembert étoient si imparfaittes
que ce ne fut que par grâce que l’on reçut quelques unes de ses pièces. (…)
Pour objet d’économie, Mr de Montalembert fit couler des canons de 36 avec deux fourneaux au lieu de trois
comme il avoit toujours été pratiqué dans les forges. "(…)
Quant à la machine à forer du marquis, Maritz écrit : (…) "faute que la tige du foret soit bien prise, les âmes des canons forés avoient des sillons qui rendoient les pièces inutiles au service." (…) (A.H..M. Lorient)
La machine à forer de l’ingénieur Maritz
Principe de la machine à forer de l’ingénieur Maritz : Le canon, en position horizontale tournait autour de l’axe du foret
qui peu à peu creusait l’âme du canon. Ce banc de forage comprenait en réalité deux forets ,
l’ensemble étant actionné par la force hydraulique.
Dans la machine de Montalembert, au contraire, le canon, en position verticale et fixe,
s’enfonçait peu à peu sur la tige du foret qui tournait actionné par deux chevaux.
Le roi dessaisit alors le marquis de son projet, mais comme ce dernier avait aussi affermé plusieurs autres forges,
un interminable procès s’ensuivit pendant 20 ans. Mr de Montalembert réclamait d’importantes sommes en dédommagement :
il ne les obtint jamais.
Bibliographie
- Au temps où le Périgord-Limousin-Angoumois canonnait en Atlantique - Christian Magne.
- Moulins et forges du canton de Villebois-Lavalette - Michelle Aillot.
- 1930 Société Archéologique et historique de la Charente - Bulletin et mémoire série 8 tome XX
Dès le XVIe siècle on voit apparaître de nombreuses forges et fonderies en *Angoumois.
Cette région de France dispose non seulement de minerai de fer en quantités abondantes mais
aussi d’immenses forêts avoisinants ces gisements permettant ainsi un approvisionnement aisé
des fours en charbon de bois. Malgré la qualité médiocre du minerai de fer extrait de ses mines,
au fil des siècles apparaîtront des forges importantes autour d’Angoulême telles que celles de
Planchemenier, Combier, Jamelière, Bonrecueil, La Chapelle St Robert, Forge neuve, Rancogne,
Montizon, Pont Rouchaud et bien d’autres forges importantes comme la très célèbre Fonderie de Ruelle.
*Ancienne province Française qui correspond de nos jours à la partie centrale de l'actuel département de la Charente
Où étaient situées les forges ?
Carte des forges de l’Angoumois au XVIIIe siècle
La grande époque de ces forges se situe lors de la création de l’Arsenal de Rochefort décidée par Louis XIV.
Le roi voulant une flotte de guerre puissante, ces forges reçurent d’importantes commandes de canons de différents calibres
mais aussi des mortiers plus spécialement utilisés pour bombarder les fortifications ennemies.
On remarque sur la carte que toutes les forges étaient situées le long d’un cours d’eau car toute la machinerie,
en particulier les soufflets des hauts fourneaux, les martinets (gros marteaux), les machines à forer étaient actionnés
par des roues à aubes ou à godets d’où la nécessité d’avoir en général un barrage avec des biefs pour alimenter les roues.
Toutes les forges avaient un plan d’ensemble à peu près identique :
Autour d’un haut bâtiment comprenant un ou plusieurs fours avec la fosse à couler les canons,
se trouvaient des halles de stockage pour le minerai, le charbon de bois,
la chaux (utilisée comme fondant) l’argile etc.
Chaque forge avait aussi besoin d’une martelerie, et d’un bâtiment pour le forage des canons.
A proximité se trouvaient en général quelques humbles logements pour les ouvriers spécialisés et leurs familles.
Enfin, à l’écart, dominant l’ensemble de la forge, la demeure bourgeoise du maître de forge.
La demeure des maîtres de forge à Pont Rouchaud
Jusqu’au XVIIIe siècle c’était "une maison forte",
entourée de hauts murs d’enceinte.
Quelques éléments importants d’une forge.
Tout d’abord le haut fourneau. Construction monumentale qui demandait une très grande expérience
de la part des ouvriers chargés de le faire fonctionner. Aussi chacun avait-il un rôle bien défini :
Le Maître Chargeur et son aide devaient doser les couches de minerai, de charbon de bois
et de fondant pour obtenir la qualité recherchée du métal. Le Soufflier s’occupait de la bonne marche
des soufflets qui ne devaient en aucun cas s’arrêter, et continuellement il devait en graisser les parties mobiles.
En bas du fourneau se trouvait l’Arqueur, chargé de préparer la sortie du métal en fusion
qui atteignait en bas du four près de 2000°.
Les dessins ci-dessous qui apparaissent dans de nombreux ouvrages sur l’histoire de la métallurgie nous permettent
de mieux comprendre comment fonctionnait un haut fourneau de cette époque.
On retrouve précisément cette construction dans les forges de l’Angoumois.
Un soufflet de forge
Il était actionné par une roue à aubes et un système complexe de contrepoids.
Le martinet
Énorme marteau pour battre la fonte afin d’améliorer la qualité du métal ou marteler des pièces.
Il était actionné, comme les soufflets, par l’énergie hydraulique.
Toutes les forges eurent des périodes fastes lors des guerres et des époques de moindre activité en temps de paix
où les maîtres de forges eurent parfois beaucoup de mal à survivre lorsque l’État, par manque de finances, n’honorait pas ses commandes.
Et puis la période révolutionnaire et les progrès de l’artillerie avec Gribauval firent que la plupart de ces forges disparurent
ou se convertirent au moulage de pièces agricoles ou utilitaires avant de disparaître complètement lors de la révolution industrielle
du XIXe siècle.
L’histoire, ici résumée, de la forge de Pont Rouchaud illustre bien cette épopée : C’est vers les années 1600 qu’on trouve les premiers
documents relatifs à cette forge. Entourée d’un immense domaine composé de plusieurs fermes, moulins, forêts, etc,
elle appartenait à la famille de Guez de Balzac. Par la suite, la famille Descravayat de Roussines prit en main cette forge sans produire de canons,
mais dans un premier temps, seulement des barres de fonte (ou gueuses) revendues par des négociants à des fonderies plus importantes.
Fabrication d'une gueuse :
Les ouvriers préparent un fossé dans du sable dans lequel sera déversé le métal en fusion. Après refroidissement,
il sera démoulé et transporté sur des rouleaux, vu son poids.[/color]
En 1690 tout change : Le roi Louis XIV veut étendre son prestige sur mer aussi l’intendant de Limoges écrit :
"Je vais à Angoulême pour presser dans les forges d’Angoumois la fabrique des canons que Mr de Ponchartrain a ordonné
pour les services de la mer (…) car Sa Majesté a besoin de 982 canons à fabriquer au Ponant d’ici avril 1692" (A.D. Limoges)
Les Descravayat, comme bien d’autres maîtres de forge, transforment alors leurs fourneaux pour couler des canons mais par manque
d’expérience la plupart de ces "bouches à feu" sont rebutées lors des essais.
Découragée, la famille Descravayat afferme le domaine. Il sera ensuite vendu successivement à différents propriétaires
qui délaisseront la forge au profits des revenus du domaine.
Il faut attendre 1757 pour que la forge, rachetée par Jacques Dereix des Rivières et son épouse, Jeanne Blanchard,
après de très importants travaux de réfection, devienne l’une des plus importantes forges de l’époque,
spécialisée dans la fonte des canons de 24, 12., et autres calibres plus petits, toujours pour la marine.
Mais Jacques Dereix décède en 1759 et l’on aurait pu penser que les fourneaux allaient s’éteindre.
C’était ne pas connaître l’énergie de son épouse qui allait continuer encore plus activement,
non seulement la fonte de canons mais aussi celle de mortiers et de boulets.
C’est ainsi qu’elle obtient la soumission de 70 canons et 50 mortiers de 12. avec une avance de 20 000 livres.
(Ci-dessous, la première page de cette soumission (A.D. de la Gironde)
Or un traité de la sorte, passé avec le secrétaire d’état à la Marine, n’était pas sans contraintes importantes, témoins ces quelques extraits :
"Les canons seront forés et tournés au vif sur leur surfaces extérieures ; les mortiers seront seulement forés et la précision des dimensions
prescrites sera scrupuleusement respectée(…) L’âme des dits canons et mortiers sera unie, concentrique et juste au calibre,
sans onde ni coups de forest"
Si les consignes n’étaient pas respectées, les canons "étaient rebutés avec cassation des tourillons"*
*En brisant les tourillon (axes de chaque côté du canon) les autorités maritimes étaient assurées que les canons ne pourraient plus être
utilisés au cas où les imperfections seraient maquillées….ce qui parfois arrivait …
C’est ainsi qu’en 1770, le maître de forge de la Chapelle St Robert reçut copie de cette lettre du ministre de la marine, le duc de Praslin :
"Monsieur, après la visite qui a été faite à Toulon des 72 pièces transportées de Rochefort, il parait qu’il y en a quatre de rebutées
pour des chambres et fêlures qui avaient été mastiquées (…) Comme il a été vérifié que ces canons proviennent de la forge de la Chapelle St Robert,
le prix en sera retenu sur ce qui reste dû des fournitures… " ( A. D de la Dordogne)
Canons coulés dans les forges de l’Angoumois et du Périgord.
Un canon de marine de 24, sur son affût, prêt à être embarqué
En exposition devant un bâtiment de la Corderie royale à Rochefort.
Les canons de 36, qui armaient les énormes navires de guerre, pesaient environ 3500 kg et peu de forges, en Angoumois,
étaient en mesure d’en couler. Par contre, les canons de 24, qui pesaient environ 2500 kg étaient très demandés ainsi que des canons
de calibre plus petit pour armer les frégates et autres voiliers plus légers.
La correspondance entre l’Intendant de l’Arsenal de Rochefort, La Martinière, la veuve Jeanne Dereix Desrivières,
devenue maître de forge à Pont Rouchaud et le Sieur Maritz, ingénieur en armement pour le Roy, révèle combien était intense
et difficile la vie de ces forges de l’Angoumois : (A.H.M. à Lorient)
1er février 1760. Lettre de La Martinière à Mme Dereix :
"Madame, Mr Maritz apprendra avec plaisir la mise en place de votre cuve (Fosse à couler les canons) et le bon train (…)
de vos deux machines à forer"
Lettre du 20 avril 1760 :
"Mr Maritz me prie de vous prévenir qu’il vous donnera une douzaine de mortiers à couler sur le modèle de ceux fabriqués à Rancogne (…)
J’ai reçu votre lettre par laquelle j’apprends que vous coulez actuellement des canons de 24.
Je pense qu’il faut dès à présent monter votre forerie afin d’être à même de remplir les obligations de votre soumission".
Lettre du 12 janvier 1761 :
"Madame, Mr Maritz me demande d’expédier subitement pour Rochefort les mortiers qui se trouvent à Pont Rouchaud
au nombre de 18 et de faire passer à Bordeaux 25 canons de 24 et 58 de 12 qui s’y trouvent, pour Paris"
Lettre du 20 janvier 1761 :
"Madame, Mr Maritz me marque qu’il faut envoyer 80 canons de 8 et 20 gros mortiers avec leur crapauds".
D’autres lettres semblables suivent mais tous les maîtres de forges étaient devant un problème récurrent :
Le non paiement par l’état des fournitures et du travail fourni, ce qui les mettait souvent dans des situations dramatiques :
Lettre de La Martinière à Maritz :
"Je vous écris directement à Paris avant votre retour car la veuve Desrivière ne sait plus à quel saint se vouer pour fléchir ses ouvriers
et ses voituriers qui luy refusent services et ses autres créanciers qui la persécutent continuellement.
Elle sera forcée de tout abandonner si elle n’est pas incessamment secourue(…)
Tachez d’obtenir à la Cour quelque somme honnête et tout le monde vous bénira ;
J’ay témoigné en dernier lieu au ministre combien ce secours est nécessaire"
Car, comme il est fait allusion dans cette lettre, il fallait payer les fournitures et leur transport, d’une part,
mais aussi le charroi des canons et des mortiers jusqu’au port de l’Houmeau près d’Angoulême.
Là, ils étaient chargés sur des gabares qui descendaient la Charente jusqu’à Rochefort ;
un voyage plein de périls, notamment en période de crue de la Charente.
Reconstitution du transport d’un canon réalisée par l’Association "La Route des tonneaux et des canons".
En fait, les "rouliers" transportaient plusieurs canons à la fois avec un nombre impressionnant de chevaux.
Plusieurs lettres de l’Intendant font allusion à ce problème :
Mortiers devant le fort de Fouras.
Lettre au réceptionnaire des canons à Angoulême :
"Monsieur, j’ay conséquemment l’honneur de vous annoncer qu’il y a déjà 15 attelages d’affectés
au transport des canons de Pont Rouchaud ."
Une autre fois il écrit :
"Je réclame pour la forge de Pont Rouchaud où il reste encore 15 mortiers avec leur crapaud, l’objet de 45 charrois (…)
Les conducteurs savent mieux que moy la charge que les charrettes sont capables de porter. Ces mortiers pèsent 6000 livres,
leur affût 7000 livres, formé de deux pièces de 3500 livres chacune* . Il faut 9 chevaux pour tirer le corps du mortier
et 5 à chaque flasque d’affût. Enfin, ce transport est l’affaire de 4 jours." (…) * Une livre, environ 500g
Arrivés au port de l’Houmeau, les canons étaient donc confiés à des gabariers. Ceux-ci étaient payés au retour à Angoulême
par une sorte de banquier au vu d’un reçu délivré par les autorités de l’Arsenal :
Billet affirmant que le gabarier a bien déchargé à l’Arsenal de Rochefort 4 canons de 24 provenant de Mr de Puymartin
(il avait pris la direction de la forge de Pont Rouchaud après le décès de la veuve Dereix).
Le roi Louis XVI n’étant pas un souverain guerrier, l’Arsenal de Rochefort tourna au ralenti jusqu’à la période révolutionnaire
où la plupart des forges s’éteignirent. Celles qui restaient, après un sursaut de production exigé par le Comité révolutionnaire,
disparurent sous l’Empire. Les maîtres de forge n’avaient pas su convertir leurs installations pour faire face à la révolution industrielle.
Une forge cependant ne disparut pas et existe encore : celle de Ruelle qui eut un destin exceptionnel : sa création est due
au Marquis de Montalembert qui, en 1750, se fait fort de produire pour Sa Majesté,
800 canons en Angoumois (moyennant la fabuleuse somme de 1.800.000 livres (...)
Il crée effectivement une grande forge à Ruelle, mais son inexpérience dans le domaine de la fonderie
fait que ses premières coulées de canons sont un échec.
L’ingénieur Maritz, Inspecteur des Armements, fait alors au roi un rapport des plus accablants :
"Il est étonnant comment un particulier sans aucune connaissance ni expérience peut s’engager à couler du canon (…)
En l’espace de deux ans, Mr de Montalembert n’avoit livré que 13 canons et ce petit nombre avoit été fait avec si peu de soin,
on y avoit emploié de si mauvaises matières, les machines à forer de l’invention de Mr de Montalembert étoient si imparfaittes
que ce ne fut que par grâce que l’on reçut quelques unes de ses pièces. (…)
Pour objet d’économie, Mr de Montalembert fit couler des canons de 36 avec deux fourneaux au lieu de trois
comme il avoit toujours été pratiqué dans les forges. "(…)
Quant à la machine à forer du marquis, Maritz écrit : (…) "faute que la tige du foret soit bien prise, les âmes des canons forés avoient des sillons qui rendoient les pièces inutiles au service." (…) (A.H..M. Lorient)
La machine à forer de l’ingénieur Maritz
Principe de la machine à forer de l’ingénieur Maritz : Le canon, en position horizontale tournait autour de l’axe du foret
qui peu à peu creusait l’âme du canon. Ce banc de forage comprenait en réalité deux forets ,
l’ensemble étant actionné par la force hydraulique.
Dans la machine de Montalembert, au contraire, le canon, en position verticale et fixe,
s’enfonçait peu à peu sur la tige du foret qui tournait actionné par deux chevaux.
Le roi dessaisit alors le marquis de son projet, mais comme ce dernier avait aussi affermé plusieurs autres forges,
un interminable procès s’ensuivit pendant 20 ans. Mr de Montalembert réclamait d’importantes sommes en dédommagement :
il ne les obtint jamais.
Bibliographie
- Au temps où le Périgord-Limousin-Angoumois canonnait en Atlantique - Christian Magne.
- Moulins et forges du canton de Villebois-Lavalette - Michelle Aillot.
- 1930 Société Archéologique et historique de la Charente - Bulletin et mémoire série 8 tome XX
*FIN*
Dernière édition par Stearghall le Mar 1 Aoû 2017 - 22:47, édité 1 fois